L’avenir de l’agriculture est-il dans la polyculture élevage ?
En 2022, le Colloque de l’Agriculture Biologique de Conservation, organisé par les Bios du Gers, réalisait sa 12ème édition. Une journée d’ouverture, d’échanges et de témoignages pour phosphorer ensemble sur les systèmes innovants, résilients et autonomes qui construisent l’agriculture de demain.
En 20 ans, le Sud-Ouest est passé d’un maillage de fermes en polyculture-élevage à une dynamique de spécialisation rapide, entraînant augmentation de la taille des exploitations et baisse de la biodiversité au passage. D’autre part, l’inflation du prix des intrants, les biosécurités, les filières favorisant les effets de seuil, etc, contribuent à la déprise des élevages extensifs à taille humaine. Le niveau de dégradation des sols et la raréfaction des engrais organiques inquiètent le monde de la bio qui ne reste pas les bras croisés. Depuis de nombreuses années, nous travaillons avec nos adhérents sur le maintien de la fertilité des sols grâce au végétal en mobilisant les piliers de l’ABC (couverture maximale des sols, moindre perturbation mécanique, biodiversité dans et hors des champs). L’animal a toute sa place dans cette démarche dans sa capacité à réintroduire de la diversité et à venir boucler ces cycles. L’enjeu de la polyculture-élevage réside dans la dé-spécialisation des agroécosystèmes et la désindustrialisation des filières. Mais où sont passées vaches et brebis ?
La synthèse et la vidéo des interventions de cette 12ème édition du colloque de l’ABC disponible ci-dessous.
L’agriculture biologique peut-elle exister sans animaux ? une conférence de Jacques CAPLAT
Jacques Caplat est agronome et ethnologue. Fils d’éleveur ovin corrézien, il a été conseiller en production ovine en Chambre d’Agriculture puis animateur à la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB). Il a participé à la création du réseau Semences paysannes et s’est impliqué dans des actions de développement dans des pays du Sud (notamment au Bénin). Il est actuellement administrateur de l’association Agir Pour l’Environnement et de Bio Cohérence et président d’IFOAM-France (branche française de la fédération biologique internationale). Il est l’auteur de nombreux rapports et conférences sur l’agriculture biologique, ainsi que de plusieurs ouvrages, dont « Une agriculture qui répare la planète – Les promesses de l’agriculture biologique régénérative », coécrit avec Vandana Shiva et André Leu (Actes Sud, « Domaine du possible », 2021).
L’agriculture n’existe pas au singulier, il y a des agricultures. Elle a été inventée et réinventée une trentaine de fois dans l’histoire de l’humanité. L’agriculture dite conventionnelle aujourd’hui est apparue au XIXème siècle et se base sur une idéologie productionniste. Ses effets néfastes se ressentent aujourd’hui à travers l’effondrement de la biodiversité. Aujourd’hui, le méthane produit par l’élevage est une cause importante du changement climatique. Cependant comme il y a des agricultures, il y a des formes d’élevage. L’élevage à l’herbe a un impact bien moindre sur le changement climatique. Il s’agit aujourd’hui d’aller plus loin que ne pas avoir d’impact : réparer et aller vers l’autonomie pour les paysans et paysannes. L’agriculture biologique est un socle, une base à laquelle doit venir s’ajouter d’autres pratiques vertueuses. Par exemple, l’utilisation de semences paysannes renforce l’autonomie. L’augmentation des taux de matières organiques dans les sols permet une meilleure infiltration et un meilleur stockage de l’eau. Les prairies, le bocage et les haies sont une réserve de biodiversité. Il faut sortir d’une vision réductionniste de l’agriculture et commencer à mettre en lien technique, territoire et société.
Vers la résilience agroécologique, un témoignage de Félix NOBLIA
Felix Noblia a de nombreuses casquettes en tant qu’agriculteur, expérimentateur, maire de sa commune Bergouey-Viellenave (Pyrénées-Atlantiques). Sur sa ferme, il travaille 150 ha de SAU, principalement en prairie pâturées par 60 vaches Angus et Blonde d’Aquitaine selon la méthode du pâturage tournant dynamique. Pour Félix, installé depuis 2010 sur la ferme de son oncle, le dilemme se résume ainsi : « En utilisant des pesticides, on tue des humains ; en travaillant le sol, on tue l’humanité. » Découvrez dans son témoignage comment les complémentarités entre cultures et élevage lui permettent de tendre vers un système en ABC.
Quand Félix s’est installé il y a 15 ans au Pays Basque, il y avait déjà un troupeau de Blondes d’Aquitaine qui passaient 6 mois dehors, 6 mois dedans, nourris au maïs ensilage et des « sols défoncés ». Le pH était descendu jusqu’à 4, ils étaient en bout de course. La question s’est donc posée tout de suite à l’installation, comment relancer la vie du sol pour avoir un avenir, une carrière d’agriculteur sur cette exploitation ? Dès 2011 il passe en ACs. Le système fonctionne bien mais en 2016, malgré des doses toujours plus réduites, il en a marre du pulvé et décide de sauter le pas de la bio. C’est aussi le moment où il change le troupeau pour des Angus. Avoir de l’élevage, être en bio, ce sont des atouts pour régénérer ses sols mais encore faut-il bien les gérer. L’enjeu de couverture permanente des sols est essentiel et le surpâturage un risque de désertification important. Il met donc en place un système de pâturage tournant dynamique qui fait toute la différence. Le temps de rotation est de 60 jours et le taux de chargement de 80 UGB/ha, ce qui lui permet de mieux gérer l’herbe, de stocker du carbone, de favoriser les champignons. La diversité, la diversification, c’est ce qui fait la force d’un système en ABC. Cela implique aussi du travail, plus de bras et de cerveaux pour gérer tout ça. Chez Félix, il y a quelques cochons pour valoriser les déchets, ainsi que du maraichage en plus des cultures. La présence de l’élevage autorise beaucoup de flexibilité sur l’atelier grandes cultures. Il fait des associations de blé et féverole et selon la réussite, le climat, le marché, il le donne au troupeau, au sol ou à la coopé. Les charges sont maitrisées, toute la fumure vient de la ferme, les seules charges restantes sont de la mécanisation. En ABC, on reste minimaliste sur le travail du sol. Pas de labour ou d’intervention occasionnant des grosses dépenses. Le temps de travail est aussi optimisé, le troupeau est donc déplacé une fois par jour seulement.
Reconnecter cultures et élevages : chimères ou réalité?, conférence à deux voix de Guillaume MARTIN et Clémentine MEUNIER
Guillaume MARTIN est directeur de recherche à INRAE, au sein de l’UMR AGIR (Agroécologie, Innovation, Territoires). Il mène des recherches en agronomie systémique au service de la transition agroécologique des exploitations d’élevage herbager et de polyculture élevage. Il est également depuis peu installé en polycultures dans le Gers et compte parmi les adhérents des Bios du Gers.
Clémentine Meunier réalise sa thèse sur la réintroduction de l’élevage dans les fermes et territoires de cultures dans le Gers et l’Ile de France. Sa thèse est financée par l’INRAe et la Région Occitanie et elle est encadrée par Guillaume Martin et Julie Ryschawy. Au cours de sa première année de doctorat, Clémentine a enquêté une vingtaine d’agriculteurs gersois et franciliens afin d’analyser leurs motivations à réintroduire de l’élevage dans leur système et identifier leurs trajectoires.
Spécialisation des fermes versus polyculture-élevage
L’intensification de l’agriculture et la spécialisation des fermes et des territoires ont généré de lourds impacts environnementaux. Les systèmes intégrant cultures et élevage figurent parmi les réponses à apporter. Après un fort déclin au cours des dernières décennies, ils sont aujourd’hui marginaux en France et en Europe. Pourtant, des agriculteurs voguent à contre-courant et réintègrent de l’élevage dans les fermes et territoires de cultures. Cette reconnexion peut prendre différentes formes, principalement l’introduction d’un nouvel atelier sur la ferme, la mise en place de coordinations locales entre céréalier(s) et éleveur(s), ou l’installation de bergers itinérants valorisant surfaces agricoles et communales.
Réintégrer de l’élevage, pour quoi faire ?
Les motivations qui amènent ces agriculteurs à réintégrer de l’élevage sont nombreuses : fourniture de services écosystémiques (fertilité des sols, gestion de l’enherbement, etc.) ; limitation des pollutions (recyclage des éléments minéraux, substitution broyage-pâturage, etc.) ; inscription dans un modèle agricole qui a du sens (agroécologie, autonomie, etc.) et qui répond à des aspirations personnelles (transmission, lien à l’animal, etc.) ; renforcement de l’ancrage territorial (solidarité et dynamiques collectives, rapport au consommateur, etc.) ; entretien du paysage ; amélioration et stabilisation du revenu ; traçabilité accrue de la production. Nombre de ces motivations font écho aux bénéfices avérés de l’intégration culture-élevage rapportés dans la littérature scientifique.
Comment faire ?
Réintégrer de l’élevage c’est plus que réintégrer des animaux, c’est aussi réintégrer la prairie et les légumineuses pérennes, produire et gérer du fumier et restaurer de la circularité à l’échelle de la ferme. Différents modèles existent : des partenariats avec des éleveurs, des bergers ou en achetant un troupeau soit même. Un premier exemple : un agriculteur qui possède 500 ha avec hauts de coteaux peu productifs, surtout intégré dans des circuits longs, et producteur d’électricité avec des panneaux photovoltaïques. Il décide de convertir ses hauts de coteaux en bio pour toucher les primes PAC et les sème en luzerne. Il ne souhaitait pas particulièrement avec des animaux sur la ferme, il décide donc de mettre à disposition ses terres pour un éleveur. Un deuxième exemple : un viticulteur qui commence à chercher des bergers pour gérer l’enherbement inter-rang lors de son passage en bio. En 2021, il rencontre une bergère itinérante qui vient pâturer dans les vignes. Séduit par le système, il décide d’intégrer un troupeau ovin permanent d’une cinquantaine de tête qu’il valorise en vente directe.
Qu’en attendre ?
Pâturage des couverts: Plus de N disponible et moins de limaces !
Pas un effet forcément sur le tassement du sol !
Part de carbone lignifiée pas forcément perdue.
Le déprimage des céréales est positif si bien effectué (tallage car après rendements impactés) car améliore également le côté sanitaire.
Performance économique se rapproche voire s’améliore pour la polyculture-élevage (à voir avec le coût de l’énergie… avec le paiement pour service environnemental cela pourrait inverser la tendance économique !!
Quelles difficultés anticiper ?
Malgré tous ces avantages, réintégrer de l’élevage s’avère compliqué en territoires de cultures. L’ultra-spécialisation des filières de production et du secteur para-agricole (conseil, enseignement, recherche en particulier) impose aux agriculteurs de se créer un nouveau réseau parfois hors de leurs territoires et de trouver ou créer des débouchés. Le manque d’aides PAC spécifiques, la difficulté à trouver de la main d’œuvre polyvalente qualifiée, le marché agricole globalisé encourageant l’agrandissement et les économies d’échelles davantage que la mixité de production, et la complexité logistique et organisationnelle liée à la gestion des éventuels partenariats entre céréaliers et éleveurs représentent des obstacles supplémentaires à franchir.
Stratégies collectives d’intégration agriculture-élevage, un témoignage d’Andréa CASSAGNES
Andréa Cassagnes est animatrice élevage au Biocivam de l’Aude (11). Le projet Sagiterres étudie et accompagne les démarches collectives qui se mettent en place ou sont déjà en fonctionnement sur le thème des complémentarités cultures-élevages dans l’Aude.
Le Parc Naturel du Minervois est un exemple en matière de complémentarités entre cultures et élevage. Plusieurs systèmes se côtoient avec des niveaux d’intégration différents. Une coopérative céréalière met en place un système de coopération pour faucher de la luzerne, un GIEE de 4 vignerons et 2 bergers travaillent ensemble pour sécuriser un parcours de pâturage permanent pour le troupeau. La commune de Féline-Minervois est un exemple tout particulier. Depuis plus de 10 ans, l’objectif de la commune est de développer un potentiel nourricier pour sa population. Ils ont commencé par faire un état des lieux de la ressource : foncier disponible (communal et privé) et potentiel fourrager. Ils ont travaillé avec tous les usagers du territoire (habitants, chasseurs, ONF, etc.) pour sécuriser une activité d’élevage sur la commune. Plusieurs éleveurs et troupeaux ont séjourné sur la commune au cours des 10 ans. Ils ont réussi à pérenniser une activité d’élevage pendant tout ce temps malgré les difficultés rencontrées : nombreux usages en cohabitation, absence de subvention pour le projet, pas de modèle standard, manque de connaissances techniques, etc. Aujourd’hui, ils notent cependant tous les bénéfices pour le territoire : meilleure fertilité des sols, diminution de la mécanisation, lien social. La réussite de ce projet tient beaucoup à la motivation et la pérennité des positions des personnes, en particulier le maire de la commune, M. Guy Sabarthes, personnalité clé de la réussite.
De céréalier à polyculteur-éleveur, un témoignage de Pierre PUJOS
Pierre Pujos est polyculteur éleveur dans le Gers (32). Il a introduit en 2019 un troupeau ovin dans une ferme céréalière bio de 210 ha de SAU majoritairement en coteaux argilo-calcaires secs.
Pierre s’est installé en 1998 sur 210 ha en grandes cultures. Pour ne pas avoir de sol « mort », il a tout de suite mis en place une couverture du sol, un moindre travail du sol, un peu de semis direct. Aucun engrais n’a été apporté sur la ferme depuis 2004. Mais au bout de 20 ans environ, malgré toutes les bonnes pratiques mises en place, les rendements plafonnent, voire baissent. C’est le déclenchement d’une réflexion sur l’introduction de l’élevage. Il fait aussi le calcul que l’atelier culture n’est pas toujours rémunérateur, avec des cultures d’été qui sont déficitaire 4 années sur 5 et des cultures d’hiver 1 année sur 2. Il installe un berger sans terre en plein air et pâture intégral, avec l’objectif qu’il s’occupe de l’atelier élevage entièrement tandis que Pierre reste sur l’atelier cultures. Aujourd’hui, les parcelles en herbe ne produisent toujours pas beaucoup mais elles ne coutent rien (et rapportent des aides plus intéressantes, l’ICHN). Pour Pierre, le troupeau est un outil agronomique. Céréalier avant tout, il cherche à mettre de l’élevage « au service » des céréales. Il fait principalement des cultures pour l’homme et utilise les surfaces restantes pour ses animaux. Environ 30% de la surface est destinée aux animaux, sur les parcelles historiquement moins productives. Ce système s’appuie aussi sur des surfaces extérieures à la ferme. Il pâture notamment 44ha de pruniers voisins sur un système d’entraide. De plus, le troupeau transhume dans les Pyrénées l’été. La particularité de Pierre est qu’il effectue sa transhumance à pied ! 3 semaines de voyage, découpé en petites étapes de 12km, avec des cycles de 3 jours de marche et 1 jour d’arrêt. En montagne, les animaux sont confiés à des bergers. Un petit lot reste dans le Gers : réforme et moutons en croissance (engraissement des moutons, pas des agneaux). Les brebis sont très adaptées aux milieux secs si la surface est suffisante (et avec race rustique : tarasconnaise). Le troupeau créé des échanges avec les voisins qui lui proposent régulièrement des surfaces pâturables.
La vie en vert, un témoignage d’Andréas ROTH
Andreas ROTH est un éleveur bovin allaitant dans le Gers (32) et membre du Conseil d’Administration des Bios du Gers. Il propose une autre approche de l’élevage sur le Domaine de Curé, à Panjas.
Andreas s’est installé en 2002 sur 30ha, avec un élevage de porcs gascons et quelques bovins. Au début, il ne travaillait pas la terre, il s’occupait seulement de l’élevage. Les terres étaient en mauvais état car abandonnées depuis plus de 15 ans. Les boulbènes qui se salissent très vite, d’où le choix du porc gascon qui « nettoient » radicalement les parcelles. Andreas constate vite qu’il y a une forte interaction possible entre les animaux et les terres cultivées. Cependant la mise en pratique est compliquée avec les porcs : les clôtures sont obligatoires et difficiles à mettre en place. Il décide donc d’abandonner les porcs au profit des bovins. En plein air intégral, les animaux deviennent très sauvages et assez vifs. Il opte donc pour un changement de race, la Galway, toute petite vache assez calme, d’origine anglaise et très poilue (permet d’affronter les conditions climatiques rudes). Le rendement de carcasse est inférieur aux blondes, mais les coûts de production aussi. Une fois de plus, la maitrise des couts de production est la clé de voute d’un système autonome et résilient.
Table ronde : Quel avenir pour la polyculture élevage dans le Gers ?
Intervenants :
- Loïc LABIDALLE, animateur élevage aux Bios du Gers
- Clémentine MEUNIER, doctorante sur la réintroduction de l’élevage à l’INRAe
- Andreas ROTH, éleveur et administrateur des Bios du Gers
- Pierre PUJOS, polyculteur-éleveur
Questions posées:
- Est-il rentable d’introduire un atelier animal sur la ferme ? Quid des ateliers de monogastriques (porcs, volailles, pondeuses) ?
- Est-ce que l’élevage aujourd’hui est viable sans les aides ?
- Y’a-t-il un marché pour une viande de qualité ? Comment le marché évolue ? Presque un magasin bio par jour a fermé en 2022. Question de concurrence ?
- Quelles sont les débouchées en restauration collective ?
- Comment évolue le temps de travail en introduisant de l’élevage ?
- Qu’est ce qui coute cher dans l’installation en élevage ?
- Quelle est la priorité pour développer ou re-développer la polyculture élevage sur le territoire ?
Un grand merci à nos financeurs sans qui ce colloque n’aurait pas eu lieu :